En avant-goût, voici un fragment du prologue, une prose de huit pages qui sert de porche menant au poème.
« Ce soir-là, le ciel, habituellement gris, épandait une eau pure dans l’immensité d’un lac de soie.
[…]
Depuis l’intérieur du logis, un vieux poste radio laissait entendre une voix lointaine. J’y reconnaissais la douceur virile du timbre liturgique des vieux muezzins cairotes ; ces voix qui disaient, par un chant à la lisière du pleur, la complétude des bonheurs rudimentaires, l’enchantement des veillées et les ivresses du narguilé.
J’attendais les premières notes du luth, seul instrument d’accompagnement admis par ces puristes de l’art. Non, point d’instrument, aucun pincement de corde n’arrivait ; après un silence magistral, la vocalise reprenait, grave, mélodieuse. J’écoutais l’émotion de la voix conjointe à celle du cœur ; l’envolée était celle d’une complainte.
Le chant était servi par des cordes vocales inouïes. Les consonnes vastes, limpides, on eût dit spatiales, se trouvaient modulées par l’enrouement de voyelles altérées par l’affliction.
La voix gravissait les octaves avec aisance, suivant un flux limpide et continu. Les envolées se chevauchaient, pures et, telles des vagues de cristal, venaient se briser sur le récif abrasé des supplications. Les ondes suivaient le rythme d’un balancier qui oscillait entre le chant et les silences. La mesure irrégulière était celle d’une prosodie inconnue qui transcendait tous les mètres et de toutes les symphonies.
Le chant finissait par sombrer dans l’octave impérieuse des profondeurs et les vibrations basses, dédaignant les plaintes et les lamentos, concluaient à la puissance de la sérénité, dans une kyrielle de sons, que la voix humaine et les instruments à vent avaient en partage. […]
J’étais désormais le captif émerveillé et consentant de la sublime rencontre. »
(La rencontre avec la musique, avec le chant est ici une allégorie, un signe de la rencontre fortuite avec la beauté.)
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